Écrire avec la cendre: les ruines ménippéennes de Robert Pinget

Parmi les curieuses localités qui ponctuent la route des protagonistes de Graal Flibuste¹ à travers cette géographie pingétienne que Robbe-Grillet a pu qualifier de banlieue déraisonnable du réel², il en est une qui présente la particularité pour le moins surprenante de construire de toutes pièces ses propres vestiges, jusque sous les yeux des visiteurs qu’elle appâte ainsi dans ses murs. Ce talent pour le trompe-l’œil appelle d’autant l’admiration qu’il confine au paradoxe : bâtir la ruine, c’est non seulement troquer la vénérable Histoire contre le mercantilisme et l’imaginaire des civilisations disparues contre celui des bourgades provinciales florissantes, mais c’est encore prendre le contre-pied de ce qui la définit essentiellement comme trace du passé, substituer l’édification à l’effondrement et, d’une certaine manière, le carton-pâte à la pierre millénaire. Bâtir la ruine c’est vider le mot de sa signification, pour donner jour à une construction impossible, construction qui appelle d’autant le commentaire que Pinget use volontiers de métaphores architecturales pour parler de la littérature, et qu’un monument signale l’entrée comme la sortie de son roman.

Ce travail se propose ainsi d’étudier comment, de monuments pastiches en vestiges postiches, la ruine fabriquée constitue pour l’écrivain le moyen de faire œuvre malgré tout, à l’aube de ce qui sera plus tard considéré comme le Nouveau Roman, en renouant avec la tradition ménippéenne par laquelle s’ouvre à lui le champ du possible.

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1. Robert Pinget, Graal Flibuste, Paris : Union Générale d’Édition, coll. «10/18 », 1963 (1956) / Édition intégrale, Paris, Éditions de Minuit, 1966.
2. Alain Robbe-Grillet, « Un roman qui s’invente lui-même » (1954), in Pour un nouveau roman, Gallimard Nrf, coll. « Idées », 1963, p. 139.

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TABLE DU NUMÉRO
La reprise, par Johan FAERBER
VERS UNE ÉCRITURE DES RUINES ?
INTRODUCTION De beaux restes ou l’écriture des ruines dans le « Nouveau Roman » par Johan FAERBER
Première partie LA RUINE COMME FORCE MALADE
1. « Le Nouveau Roman » : éléments d’une esthétique des ruines, par Francine DUGAST-PORTES
2. Claude Simon : la mélancolie ou comment parler de la ruine, par Marie-Albane RIOUX-WATINE
3. L’Innommable de Samuel Becket ou les ruines sont une fête, par Stéphane CHAUDIER
Deuxième partie LES RUINES COMME HERMÉNEUTIQUE EN DÉRÉLICTION
1. Parmi les (déc)ombres : Claude Ollier en ruines, par Sjef HOUPPERMANS
2. Écrire avec la cendre : les ruines ménippéennes de Robert Pinget par Audrey CAMUS
3. Vestiges de l’amour ou l’amour en ruines dans L’Amour de Marguerite Duras, par Sylvie LOIGNON
Troisième partie LES RUINES COMME ÉCRITURE DE LA FAILLITE ET DE LA FAILLE
1. Portrait de Claude Mauriac en « alittérateur » par Marie-Hélène BOBLET
2. L’Argent, l’avarice ou le moyen de se ruiner chez Nathalie Sarraute, par Ann JEFFERSON
3. Dans le labyrinthe de la maison Usher : fissure, fétiches et autre faux-semblants dans l’œuvre d’Alain Robbe-Grillet, par Jacques POIRIER
Épilogue. Le retour au désert ou l’impossible recommencement de l’écriture des ruines dans le « Nouveau Roman » par Johan FAERBER.
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LES « CORPS CONDUCTEURS » OU LA POSTÉRITÉ DU « NOUVEAU ROMAN » DANS L’ÉCRITURE CONTEMPORAINE
1. Les Filiations ruinées du théâtre de Samuel Beckett ou « l’oncle incarné » par Bruno BLANCKEMAN
2. La Défaite du processus de défection dans Les Jeux de plage de Régis Jauffret, par Aline MURA-BRUNEL
RÉPERTOIRE. CARNET CRITIQUE
La Modification ou vers un bilan critique du « Nouveau Roman »
L’Éternel retors. – Le dernier mot. – Un désir demeuré désert.