Un guetteur, que son état de vacance y prédispose, s’abîme dans la scrutation des signes du désert jusqu’à donner corps à son obsession. Ce schéma de l’attente du barbare, tel qu’il se donne à voir à travers un certain nombre de récits dont la configuration est étonnamment proche1, condense spectaculairement le processus de la figuration.
Or, si la chaîne des influences peut expliquer la proximité des textes en question, elle n’explique pas leur flagrante identité de structure. Le principe d’une telle conjonction ne réside pas tant selon nous dans la reprise ou l’intertextualité que dans la cristallisation d’une figure commune, celle du Barbare, dont elle révèle le dispositif —le phantasme d’une sentinelle à la marche-frontière. Cette configuration immuable, ajoutée à l’invisibilité du Barbare qu’elle suppose, met au jour le rôle déterminant de l’espace en tant qu’il motive la figure et éclaire dans le même mouvement l’investissement subjectif du personnage dans le processus : c’est dans l’entre-deux que la figuration advient.
Cependant que chez
la sentinelle guette le Barbare en vain, elle suscite sa venue chez , s’unit à lui chez comme chez , et semble même l’avoir déjà assimilé chez : hors de l’inscription chronologique se manifeste donc une contamination graduelle. En résulte une forte impression de continuité entre ces différents textes semblant retracer la progression d’un seul et même protagoniste et parachever ainsi la figure qu’ils dessinent conjointement. Il apparaît dès lors que si la figure, à l’instar du Barbare, ne se laisse jamais voir, elle peut du moins être approchée à travers la constellation des textes où elle se déploie, et qui la délimitent en creux : son accomplissement se lit dans leur superposition, qui fournit le support privilégié à l’observation du processus figural. Élaborée dans l’intervalle de la frontière, c’est encore à l’extérieur du texte que se révèle la figure, désignant la marge comme le lieu de sa manifestation.---
1. Alexandre , La Fille du capitaine (1836), Ernst , Les Falaises de marbre (1939), Dino , Le Désert des Tartares (1940), Julien , Le Rivage des Syrtes (1951), John Maxwell , En attendant les barbares (1980). Il faut encore y adjoindre le poème éponyme de Constantin (1904).