En vue de l’atopie, Le Rivage des Syrtes de Julien Gracq

17 October, 2005 - 15:30 - 17:00

«En vue de l’atopie, Le Rivage des Syrtes de Julien Gracq», conférence dans le cadre du séminaire de doctorat de Rachel Bouvet «Pratiques sémiotiques de l’espace: paysages, parcours, cartes» à l’Université du Québec À Montréal, le 17 octobre 2005.

Deux pays engagés dans une guerre engourdie s’épient de chaque côté de la mer. En l’absence de combat, c’est leur topographie qu’ils livrent au lecteur : la mer et ses îles, la ville aux palais décrépis, les terres cendreuses du désert, la cime effrayante d’un volcan. Entre les deux pays Aldo, qui a pour mission de surveiller la frontière morte dont la chambre des cartes semble la seule garante. Parti de la ville aux fastes mondains pour venir s’enfermer dans l’austère forteresse, son parcours le conduira à combler l’intervalle de désir qui le sépare de la côte ennemie pour provoquer la collision.

Roman de géographe, Le Rivage des Syrtes tend à faire de l’espace l’actant principal du récit. Dans le même temps cependant la province des Syrtes et le Farghestan exhibent leur dimension chimérique à travers divers procédés irréalisants : toponymie ostensiblement imaginaire, localisation problématique, indétermination descriptive se verront confirmées dans le mouvement de destruction mis en branle par le protagoniste. Il y va « de la nature intime du roman, qui est de faire le lecteur être à mesure tout ce qui est dit, mais dans l’anéantissement concomitant de toute réalité de référence »1, selon les mots de Gracq lui-même. Par cet effacement du lieu, c’est au dévoilement de l’atopie fondamentale du pays imaginaire que nous sommes conviés.

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1. Julien Gracq, En lisant en écrivant, Paris: José Corti, 1980, p. 110.