Dans une lettre de 1871 à son éditeur Hetzel, Jules Verne, évoquant l’idée de porter l’un de ses premiers romans à la scène, imagine un « drame panoramique », « un drame où l’on aurait des aurores boréales, des baleines, des tempêtes, des naufrages, enfin des choses qui ne se sont jamais vues au théâtre ». C’est à ce drame-là que le Théâtre du Soleil convie ses spectateurs en 2010 avec Les Naufragés du Fol Espoir, « une création collective mi-écrite par Hélène Cixous, sur une proposition d’Ariane Mnouchkine, librement inspirée d’un mystérieux roman posthume de Jules Verne ».
Si la relation que la pièce entretient avec son modèle semble à première vue assez distante, l’analyse en révèle toute la richesse et la complexité. Le Soleil, à l’évidence, cherche d'abord à extraire toute la tension dramatique du texte vernien pour faire de l’expérience théâtrale un voyage extraordinaire. Mais il se nourrit aussi de l’imaginaire fabuleux de son inspirateur pour penser, quelques années après la mort de l’écrivain, le naufrage historique de ce fol espoir dont ses textes étaient porteurs. Plus profondément enfin, il semble que les passages du roman non portés à la scène constituent en réalité la partie immergée de l’iceberg, le fondement d’une réflexion sur la pratique utopique de la troupe du Soleil elle-même, qui affleure à travers la métaphore maritime.
