Restaurer le blanc des cartes ou comment Pierre Senges escamota l’Amérique

14 April, 2007 - 10:00 - 10:30

«Restaurer le blanc des cartes ou comment Pierre Senges escamota l’Amérique», communication dans le cadre du premier colloque international de La Traversée: De la géopoétique, la carte comme point de vue, Québec, 12-15 avril 2007.

En 2004, les éditions Verticales publient La Réfutation Majeure, «version française, d'après Refutatio major, attribué à Antonio de Guevara (1480-1548)». Le livre arbore sur sa couverture le nom de Pierre Senges. Il convient de préciser d’emblée que si Antonio de Guevara a bien existé, sa bibliographie ne porte pas mention du texte qu’on lui impute.

Majeure, la réfutation que ce dernier met en œuvre l’est effectivement, puisqu’il s’agit rien moins que de mettre en cause l’existence de l’Amérique récemment découverte. Procédant à l’inventaire méthodique des motifs qui ont occasionné une telle supercherie comme de ses bénéficiaires, tant dupeurs que dupés, les pages qui retracent l’histoire des grandes découvertes pour en mettre au jour les dessous s’accumulent, et plus l’auteur en noircit, emportant la conviction de son lecteur amateur de fables, plus les contours du Nouveau Monde s’estompent, le continent disparaissant peu à peu de la carte où il vient tout juste d’être ajouté. Le commentaire trace le pourtour du livre comme du pays manquants, dont il manifeste de la sorte l’existence comme en creux, que ce soit pour l’affirmer ou la nier. Il figure ce faisant une manière de trou noir qui appelle à son tour la prolifération des commentaires, quand la carte, dans le même mouvement, retrouve sa blancheur virginale. Par le court-circuit temporel qu’il emprunte au maître Borges —le coup du Pierre Ménard—, dans un mouvement exactement contraire à celui déployé par les explorateurs et les cartographes et qui lui sert de canevas inversé, Pierre Senges réussit le tour force d’escamoter l’Amérique pour faire de son texte prétendu incrédule un nouveau livre des merveilles. Il nous offre ainsi l’occasion unique de questionner l’imaginaire que véhicule pour nous le blanc des cartes à l’heure où il n’est plus une seule parcelle du globe qui nous soit inconnue.

 

À paraître sous le même titre dans Bouvet, Rachel; Guy, Hélène et Waddell, Éric (dir.), La carte : point de vue sur le monde, Montréal : éditions Mémoires d’encrier, en 2008.

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