Le Mont Analogue & la tradition de l’île imaginaire

Le Mont Analogue & la tradition de l’île imaginaire

Camus, Audrey. "Le Mont Analogue & la tradition de l’île imaginaire." In L’Insularité, edited by Mustapha Trabelsi, 193-206. Cahiers du Centre de Recherche sur les Littératures Modernes et Contemporaines. Clermont-Ferrand: Presses Universitaires Blaise Pascal, 2005.

Le Mont Analogue, considéré comme un aboutissement du travail de René Daumal et de sa quête personnelle est, comme chacun sait, un récit symbolique. Ce dernier roman, inachevé, relate en effet le périple d’un groupe de voyageurs à la recherche de la voie unissant la Terre au Ciel:

«Dans la tradition fabuleuse, avais-je écrit en substance, la Montagne est le lien entre la Terre et le Ciel. Son sommet unique touche au monde de l’éternité, et sa base se ramifie en contreforts multiples dans le monde des mortels. Elle est la voie par laquelle l’homme peut s’élever à la divinité, et la divinité se révéler à l’homme.» (MA, p.15)

La montagne polarisant tous les regards, ce que l’on dit moins, c’est que l’écrivain situe son pays imaginaire sur une île. De la même manière, la plupart des critiques, occupés à expliciter l’analogie entre la quête spirituelle de l’auteur et celle de ses personnages, n’ont guère accordé d’intérêt au sous-titre, qui fait aussi de ce texte symbolique un «roman d’aventures alpines non-euclidiennes». Cet élément méritait pourtant l’attention, semble-t-il, au vu de la correspondance de l’auteur qui, en 1939, évoquait le livre en ces termes:

«Ce sera un roman d’aventures à base de fantastique scientifique, à la Wells —aux idées près, bien entendu—, avec des scènes nautiques, policières et surtout alpines, car c’est en même temps une sorte d’introduction à l’alpinisme. Cela s’appelle Mont-Analogue […]1

Au croisement de la métaphysique et de la littérature populaire c’est, on le voit, à un bien étrange hybride que Daumal projetait de donner le jour.

Pour tâcher de comprendre quelle relation existe entre ces deux aspects négligés du roman que sont l’insularité et le mélange des genres, nous nous proposons d’étudier la manière dont il s’inscrit dans la tradition de l’île imaginaire. Pour ce faire, nous envisagerons tour à tour les liens qu’il entretient avec les mondes perdus et les îles d’utopie, empruntant des motifs tantôt au roman d’aventures et tantôt au conte philosophique, et jouant de ces schémas pour proposer une vision poétique de la quête de soi qui les transcende.

Un décor

L’île est d’abord le décor du récit et tient, en tant que telle, un rôle dans ses diverses filiations génériques. Roman d’aventures à base de fantastique scientifique, le livre s’apparente aussi aux voyages extraordinaires et à l’utopie, ainsi qu’au merveilleux exotique, amalgamant des genres qui se sont souvent combinés deux à deux au cours de leur histoire.

L’étude de la manière dont Le Mont Analogue assimile les trois principaux de ces genres devrait permettre de déterminer comment chacun d’eux s’intègre au projet philosophique de Daumal.

Un roman d’aventures alpines

Celui que Michel Camus considérait comme «le premier poète métaphysicien du XXe siècle2» aurait donc écrit, avec Le Mont Analogue, un roman d’aventures?

À bien y regarder, le récit présente en effet de nombreuses caractéristiques du genre, dont les romans d’explorations de pays imaginaires publiés par les éditions Jules Tallandier dans la première moitié du siècle fournissent un bon modèle3. Dans la lignée du Voyage au centre de la Terre de Jules Verne, ces ouvrages présentent en effet une structure narrative invariable, à laquelle Le Mont Analogue correspond dans une large mesure: un groupe part à la découverte d’un monde perdu que peuple une civilisation présentant des caractéristiques anciennes. Les explorateurs viennent à bout de nombreuses aventures grâce aux qualités spécifiques de chacun d’eux: l’expédition de La Cité des ténèbres, par exemple, est composée de deux reporters (audace, roublardise), un marchand de cuir milliardaire (moyens financiers, bon sens), son chauffeur (bêtise, appétence) un ingénieur (intelligence, technicité), et un «savant philologue» (culture, connaissance des langues).

L’intrigue du livre de Daumal est assez proche de ce schéma: une expédition scientifique motivée par l’espoir d’un retour «aux sources»4 se constitue à partir de la conviction que le Mont Analogue existe, bien qu’il soit invisible. Elle comprend, outre le narrateur «littérateur» et sa femme, un inventeur d’inventions impossibles, un linguiste, un médecin-alpiniste, une peintre et deux frères, s’intéressant l’un à la physique et à l’astronomie, l’autre à la métaphysique orientale. Les explorateurs découvrent eux aussi un monde perdu où toutes sortes de péripéties les attendent (ce que les «scènes nautiques, policières et surtout alpines» mentionnées par Daumal dans sa lettre laissent du moins supposer puisque le roman est inachevé).

L’inscription du Mont Analogue dans la lignée du roman d’aventures éclaire en partie le choix insulaire: l’île, indissociable du mythe de l’origine que questionnent le livre de Daumal comme ceux des éditions Tallandier5, constitue à l’évidence pour l’imagination un décor propice à l’aventure. Mystérieuse, elle a toujours, depuis l’Atlantide, abrité les mondes perdus à la faveur de l’immensité et des brumes océanes6.

Mais s’il présente une structure similaire, Le Mont Analogue poursuit des buts différents de ceux du paradigme dans lequel il s’insère: c’est une aventure intellectuelle et existentielle que Daumal propose à son lecteur, celle de l’éveil «de cette voix qui, du fond de [notre] enfance […], interroge: ‹que suis-je?› et que tout, en nous et autour de nous, semble agencé pour étouffer encore et toujours.». Le chemin est escarpé et périlleux, le risque mortel7:

«Quand cette voix ne parle pas —et elle ne parle pas souvent!— je suis une carcasse vide, un cadavre agité. J’ai peur qu’un jour elle ne se taise à jamais; ou qu’elle ne se réveille trop tard —comme dans votre histoire de mouches: quand on se réveille, on est mort.» (MA, p.39)

Le livre de Daumal diverge en outre du schéma Tallandier sur trois points essentiels. Les explorateurs découvrent le Mont non par hasard, mais parce qu’ils sont convaincus de son existence, partent à sa recherche et s’en voient ouvrir l’accès. Par ailleurs, les ennemis de l’expédition ne sont pas les habitants du Mont, qui forment une «humanité supérieure», mais les démons intérieurs de ses propres membres et la tendance naturelle de l’homme à se détourner de l’essentiel. Enfin, le métier qui les définit, loin d’être un atout, constitue pour les explorateurs un obstacle à surmonter, car c’est un masque dont il leur faudra se défaire:

«Nous commencions à nous dépouiller de nos vieux personnages. En même temps que nous laissions sur le littoral nos encombrants appareils, nous nous préparions aussi à rejeter l’artiste, l’inventeur, le médecin, l’érudit, le littérateur. Sous leurs déguisements des hommes et des femmes montraient déjà le bout de leur nez.» (MA, p.134)

L’île fournit d’ailleurs en ce sens le motif d’une circumnavigation initiatique: ce n’est qu’après s’être «démunis de tout» que les explorateurs verront la porte de l’invisible s’ouvrir pour eux:

«Chacun faisait son inventaire, et chacun de jour en jour se sentait plus pauvre, ne voyant rien autour de lui ni en lui qui lui appartînt réellement. Si bien qu’un soir ce furent huit pauvres hommes ou femmes, démunis de tout, qui regardèrent le soleil descendre sur l’horizon.» (MA, p.106)

Pour servir son dessein, Daumal dénature donc certains aspects du genre dont il emprunte le schéma. Ainsi, tout en créant un objet littéraire paradoxal, empêche-t-il son lecteur de se laisser prendre au piège de l’illusion littéraire. Le traitement qu’il réserve au «fantastique scientifique» s’inscrit, comme nous allons le voir, dans la même démarche.

Un fantastique scientifique

La première épreuve des protagonistes consiste à découvrir l’accès du Mont Analogue ; l’île est en fait protégée par une coque de courbure qu’il leur faudra parvenir à franchir:

«Vous savez […] qu’un corps quelconque exerce une action répulsive de ce genre sur les rayons lumineux qui passent près de lui. Le fait, prévu théoriquement par Einstein, a été vérifié par les astronomes Eddington et Crommelin, le 30 mai 1919, à l’occasion d’une éclipse de soleil; ils ont constaté qu’une étoile pourrait encore être visible alors qu’elle se trouve déjà, par rapport à nous, derrière le disque solaire. Cette déviation, sans doute, est minime, mais n’existerait-il pas des substances encore inconnues —inconnues, d’ailleurs, pour cette raison même, capables de créer autour d’elles une courbure de l’espace beaucoup plus forte? Cela doit être car c’est la seule explication possible de l’ignorance où l’humanité est restée jusqu’à présent de l’existence du Mont Analogue.» (MA, p.61, souligné par l’auteur)

Daumal, comme nombre d’auteurs de science-fiction, fonde l’existence de son monde parallèle sur l’application d’une représentation mathématique existante, ici la théorie de la relativité restreinte, que caractérise son incompatibilité avec la géométrie euclidienne: nous sommes bien, apparemment, en présence d’un «fantastique scientifique à la Wells8».

Dans une telle perspective, l’île, qu’elle soit située sur le globe ou dans les océans cosmiques, apparaît comme un lieu d’élection de ce type de récits, en sa qualité de microcosme.

Nous pouvons toutefois constater, là encore, un détournement du schéma initial. En premier lieu, contrairement à ce que l’on observe généralement dans les récits de SF, la civilisation que les explorateurs découvrent sur les rives du Mont n’est pas plus avancée technologiquement que la nôtre, au contraire:

«La vie économique, à Port-des-Singes, est fort simple, quoique animée; à peu près ce qu’elle devait être dans une petite bourgade européenne avant les débuts du machinisme, car aucun moteur thermique ni électrique n’est admis dans le pays: tout usage de l’électricité y est interdit […].» (MA, p.119)

L’expérimentation sur les possibles techniques n’intéresse donc pas Daumal en tant que telle9. On peut penser que ce «fantastique scientifique» participe plutôt du projet d’un auteur pour qui «la fonction la plus élevée qui puisse être donnée à une institution ou à un art humain [est] d’éveiller la conscience, de provoquer les hommes à se penser tels qu’ils sont10». C’est en effet une forme de remise en question, la plus violente peut-être, que celle qui consiste à nier les lois physiques communément reconnues: si certaines représentations de notre univers peuvent faire naître de nouvelles hypothèses et de nouveaux mondes, à l’inverse, la création de nouveaux mondes représente un moyen de changer notre point de vue sur ce qui nous entoure.

Mais l’utilisation de la science-fiction est encore problématique à plus d’un égard: la prémisse du raisonnement scientifique visant à prouver l’existence du Mont Analogue n’a rien d’un axiome mathématique, mais repose bien plutôt sur une intime conviction11. De plus, alors que les auteurs de SF exploitent les zones d’ombre de la géométrie non-euclidienne pour exhaler leur imagination dans la construction d’univers parallèles, Daumal, à rebours, les utilise pour justifier a posteriori l’existence du Mont Analogue:

«Pour qu’une montagne puisse jouer le rôle de Mont Analogue, concluais-je, il faut que son sommet soit inaccessible, mais sa base accessible aux êtres humains tels que la nature les a faits. Elle doit être unique et elle doit exister géographiquement. La porte de l’invisible doit être visible.» (Le Mont Analogue, p 18-19, souligné par l’auteur).

«Comment? Il existerait sur notre Terre une montagne plus haute que les plus hauts sommets de l’Himalaya et l’on ne s’en serait pas encore aperçu?»12: pour expliquer le phénomène, la théorie d’Einstein est récupérée par la «science des solutions imaginaires13».

De fait, le Père Sogol parvient à décrire la montagne, à la situer géographiquement et à comprendre comment y accéder en remontant systématiquement la chaîne des causalités à partir du postulat de son existence. Ses suppositions se vérifiant, «le ‹Mont Analogue› est ainsi en première instance construction analogique et création de la pensée et de la parole de Sogol»14, comme le fait remarquer Anna Maria Scaiola. Mais nous pouvons aller plus loin en remarquant que l’intrigue apparaît dès lors comme la réalisation du discours du personnage. C’est ainsi le processus de la création romanesque qui est dévoilé, d’autant que le principe sur lequel Sogol fonde sa spéculation est aussi celui qui préside à la construction narrative: «la fin doit justifier les moyens15». Le mécanisme de la motivation se défait ici sous les yeux dessillés du lecteur.

Dans une autre catégorie de «fantastique scientifique», l’île est encore le laboratoire clos dans lequel l’écrivain peut se livrer à toutes les expérimentations scientifiques (qu’on pense à Wells, Bioy Casarès, Doyle) et sociales (depuis Thomas More). Daumal, à sa façon, s’inscrit dans la lignée des premiers en choisissant l’île pour cadre de ses expériences génériques, comme nous le verrons plus tard. Examinons à présent si son pays imaginaire comporte une dimension utopique, en remarquant d’abord que le sous-titre ne mentionne rien de tel.

Une utopie «symboliquement authentique»?

Daumal, dans une lettre à Raymond Christoflour, parlait de son projet de livre en ces termes:

«Après avoir décrit un monde chaotique, larvaire, illusoire [dans La Grande Beuverie], je me sens engagé à parler maintenant de l’existence d’un autre monde, plus réel, plus cohérent, où existent du bien, du beau, du vrai [...].»16

 

Cette double démarche consistant à dénoncer la vanité de notre réalité par la mise en scène d’un pays miroir pour décrire ensuite une société meilleure rappelle bien sûr celle de Thomas More. Peut-on pour autant considérer Le Mont Analogue comme une utopie ?

«Une utopie est la construction d’un monde imaginaire en dehors de notre espace et de notre temps, ou en tout cas, de l’espace et du temps historiques et géographiques. C’est la description d’un monde constitué sur des principes différents de ceux qui sont à l’œuvre dans le monde réel.17»

Le roman répond, on le voit, à cette première définition de Raymond Ruyer, d’autant plus que «la caractéristique extérieure la plus évidente et la plus commune de l’utopie est sans doute son insularisme»18.

Dans la mesure où il situe dans une île une société fortement hiérarchisée, caractérisée par le refus des valeurs monétaires habituelles et fondée sur une forme de retour à l’état de nature, Le Mont Analogue présente en effet de fortes affinités avec le genre, comme l’a montré Viviane Barry19. Celle-ci n’a cependant pas envisagé les points sur lesquels il diffère de l’utopie, au premier rang desquels sa dimension symbolique.

Selon Raymond Ruyer en effet, «malgré la disparité d’un genre qui unit Platon, Cyrano de Bergerac et Haldane, il y a un mode utopique, qu’il est possible de définir comme exercice sur les possibles latéraux.20» Or les hommes au-devant desquels se portent les protagonistes forment l’«humanité invisible, intérieure à l’humanité visible21», dont on postule, on l’a vu, qu’elle doit exister: il n’est donc nullement question de la faire advenir, encore moins de construire une société hypothétique à cette fin, mais de la trouver.

De l’utopie, Daumal retient donc la promesse d’un ailleurs, l’affirmation de son existence et non pas la tentative de construction d’un possible politique. Son livre est la mise en œuvre d’une démarche individuelle, quand l’utopie est une réflexion sur le vivre ensemble22:

«Je ne puis que suggérer aux hommes des méthodes pour lutter contre l’inertie du sommeil. Il est impossible de montrer à l’avance à chaque homme le chemin de sa libération; mais j’espère lui fermer le plus grand nombre possible d’issues ; il se heurtera brutalement à toutes les portes qui mènent au sommeil, à l’esclavage, à la mort spirituelle.23»

Une fois de plus, l’écrivain reprend le protocole de son modèle pour se livrer à une expérience tout autre, incitant son lecteur à trouver sa propre voie.

De l’examen des ressemblances et des dissemblances que le livre présente avec les trois genres qu’il explore en particulier, il ressort que Daumal emprunte à chacun d’eux un schéma initial, dont il exporte un certain nombre de valeurs pour mieux en pervertir d’autres: la dimension philosophique de sa démarche commande cette intégration, en même temps que le choix d’une hybridation à laquelle l’île sert de toile de fond. Cette dernière constitue ainsi le décor immuable dans lequel les métamorphoses du récit pourront avoir lieu.

Un imaginaire

L’île apparaît donc, au terme de cette étude des appartenances génériques du Mont Analogue, comme particulièrement adaptée pour accueillir un tel hybride: décor privilégié du roman d’aventures, du fantastique scientifique comme de l’utopie, elle est en fait au centre de cette étrange construction en tant qu’elle permet à l’auteur de se livrer au mélange des genres, et informe également le texte de ses valeurs symboliques et poétiques.

L’île métisse

Caractérisée par sa propension au métissage, l’île offre par sa forme, circulaire et englobante —rappelons que celle du Mont Analogue est recouverte d’une coque de courbure qui la dérobe à la vue et en interdit l’accès au plus grand nombre—, le creuset où le mélange des genres peut avoir lieu.

En introduisant l’ironie que Roger Nimier évoque de manière sibylline dans sa présentation du roman24, cette hybridation qui conduit le lecteur sur de multiples fausses pistes est d’abord le plus sûr moyen de désamorcer la «suspension de l’incrédulité» néfaste à son éveil:

«Mais méfiez-vous de la littérature, méfiez-vous de la philosophie, méfiez-vous des voyages imaginaires, méfiez-vous de l’expérience d’autrui, méfiez-vous de ce qui n’engage à rien, à rien d’essentiel.25»

L’apparente contradiction du sous-titre de Daumal constitue en fait une manière d’avertissement au lecteur: attention roman piégé, réception active requise. Il s’agit, comme nous l’avons montré en première partie, de faire en quelque sorte tomber les masques de la littérature en même temps que ceux des protagonistes du roman.

Mais, comme la fin ordinaire du métier de littérateur est de parler au lieu de faire26, l’auteur doit, lui aussi, conserver un certain recul sur ce qu’il écrit ; le mélange des genres le lui procure en engendrant, par la déconstruction, une forme de distanciation ludique à la littérature:

« Il y aura dedans [Le Mont Analogue] de subtiles digressions scientifiques, psychologiques, métaphysiques (et-pata), linguistiques, rhétoriques, éthiques, mythologiques, mais je voudrais qu’un lecteur de 15 à 18 ans puisse, les sautant à son gré, lire le tout comme un roman d’aventures. La règle que j’avais suivie jusqu’à présent: un sens à chaque phrase, excellente en soi comme discipline personnelle, ne vaut pas grand-chose commercialement. Il faut du délayage, des histoires, des ‹ce jour-là, à 8h45, je me dirigeai d’un pas nonchalant…›, des ‹c’était un grand gaillard…›, des ‹Bonsoir, Monsieur Ernest, dit la concierge…›, des clergymen qui remercient la Providence, des mariages plus ou moins consommés, des agents du service des renseignements militaires du Guatemala, des empreintes digitales, —et même, par-ci, par-là, un peu de poésie27

Passons sur la poésie, à laquelle nous reviendrons plus tard. Outre qu’il semble provoquer le plus vif plaisir chez l’écrivain, ce jeu sur la forme du texte participe peut-être autant que son propos à la remise en question: c’est une réponse à la contradiction inhérente au projet de Daumal, qui cherche à expliquer sa démarche spirituelle sans verser dans le travers didactique:

«La philosophie discursive est aussi nécessaire à la connaissance que la carte géographique au voyage: la grande erreur, je le répète, est de croire qu’on voyage en regardant une carte.

Quand le problème se pose d’inciter au voyage, on peut se demander: peut-on faire servir une carte géographique non seulement à guider, mais à provoquer le voyage ?28».

Pour lui, seul le symbole réalise cette incarnation à travers laquelle l’expérience vécue pourra se communiquer29.

L’île symbolique

Dans chacun des genres qu’il explore, Daumal, on l’a vu, exploite une dimension qui l’intéresse en particulier: le roman d’aventures dans un monde perdu lui fournit la structure de la quête de l’origine, le fantastique scientifique la remise en cause de notre réalité et l’utopie la promesse d’un autre possible. Ces trois étapes d’une quête spirituelle postulent toutes le recommencement, que la figure de l’île permet de matérialiser30.

Sogol trouvera d’ailleurs le premier péradam, le cristal parfait qui marque les jalons de l’ascension spirituelle, après avoir entrepris de se dépouiller de la vanité humaine en ces termes:

«Je vous ai conduits ici, et je fus votre chef. Ici je dépose ma casquette galonnée, qui était couronne d’épines pour la mémoire que j’ai de moi. Au fond non troublé de la mémoire que j’ai de moi, un petit enfant se réveille et fait sangloter le masque du vieillard. Un petit enfant qui cherche père et mère, qui cherche avec vous l’aide et la protection ; la protection contre son plaisir et son rêve, l’aide pour devenir ce qu’il est sans imiter personne.» (MA, p 135, nous soulignons)

Ainsi l’île n’est-elle pas seulement un décor, fut-il ambivalent, elle apporte encore au Mont Analogue les valeurs symboliques qui lui sont attachées.

Rappelons que si, «au centre du monde se trouve la Montagne sacrée, [où] se rencontrent le Ciel et la Terre»31, l’île «est par excellence le symbole d’un centre spirituel et, plus précisément, du centre spirituel primordial», coupée du reste du monde, elle est aussi tout naturellement propice à la connaissance de soi en ce qu’elle évoque le repli.

Pour finir, comme l’a montré Anna Maria Scaiola, «l’île impose le refus du superflu et l’adaptation à ses lois et à ses règles; elle oblige surtout au renoncement […]. De cette façon, avant même d’affronter la montée, qui est concrète, difficile et laborieuse, on a quitté, tour à tour la stabilité de demeures qui, toutes se sont révélées provisoires […]32

Ces différentes valeurs symboliques, sous-jacentes, n’en sont pas moins essentielles au récit que Daumal, faisant sienne la distinction romantique, ne voulait pas allégorique:

«Le problème général que pose cette exégèse, c’est celui des rapports entre le symbole et l’allégorie, entre la pensée poétique et la pensée prosaïque. […] J’ai voulu, en composant le conte en question, faire œuvre symbolique et poétique.»33

 

L’île permet de fait cette conjonction de la poésie et du symbole.

L’île poétique et merveilleuse

Comme le fait remarquer Judith Pancake, le Mont Analogue, «c’est l’histoire de Merlin dans son cercle enchanté !» (MA, p.65). Le livre recèle en effet une part de merveilleux qui concerne surtout l’île: outre qu’on y croise un troupeau de licornes (p.142), la fantaisie poétique se donne libre cours à travers l’évocation de la faune et de la flore: liseron arborescent, lycoperdon incendiaire, buisson parlant, iule-cerceau, lézard-cyclope et chenille aéronaute sont prétextes à des descriptions étonnantes (voir MA, p.135).

À partir de l’arrivée dans l’île, la prose devient lyrique, le texte donne davantage de latitude aux figures et à la puissance d’évocation des images, comme en témoigne cette vision des bateaux amarrés dans la baie de Port-des-Singes:

«Derrière la maison, un pic neigeux nous regardait par-dessus son épaule boisée. Devant s’ouvrait le port où se reposait notre bateau, dernier venu de la plus étrange marine qu’on pût voir. Dans les baies du rivage, des navires de tous temps et de tous pays s’alignaient en files serrées, les plus vieux encroûtés de sel, d’algues et de coquillages à ne plus être reconnaissables. Il y avait là des barques phéniciennes, des trirèmes, des galères, des caravelles, des goélettes, deux bateaux à roues aussi, et même un vieil aviso mixte du siècle dernier […]. Et tous ces bâtiments abandonnés attendaient tranquillement la pétrification ou la digestion par la flore et la faune marine, la désagrégation et la dispersion de substance qui sont les fins dernières de toutes choses inertes, eussent-elles servi aux plus grands desseins.» (MA, p.114).

La poésie gagne jusqu’aux personnages, comme le narrateur lui-même le souligne en rapportant le discours de Sogol auquel succédera la découverte du premier péradam:

«Pierre Sogol, encore une fois, nous donna l’exemple, —sans le savoir, et sans se douter non plus qu’il devenait poète.» (MA, pp.134-135)

De la même manière que la parole spéculative du personnage sur l’existence du Mont Analogue s’était vue mise en œuvre dans la construction du récit, le discours par lequel il se dépouille de la vanité au contact de l’île se manifeste dans le cristal pur; c’est cette incarnation qui fait de lui un poète.

La poésie de l’île métisse, territoire des merveilles, est de fait indissociable de celle du mélange des genres auxquels elle fournit le décor. René Daumal, à l’entrée de son Mont Analogue, place cette suggestion un brin provocatrice:

«Je relus cet article. C’était une étude assez rapide sur la signification symbolique de la montagne dans les anciennes mythologies. […] je croyais naïvement y comprendre quelque chose —et, par ailleurs, j’aimais la montagne en alpiniste, passionnément. La rencontre de ces deux sortes d’intérêt, si différentes, sur le même objet, la montagne, avait coloré de lyrisme certains passages de mon article. (De telles conjonctions, si incongrues qu’elles puissent paraître, sont pour beaucoup dans la genèse de ce que l’on appelle vulgairement poésie; je livre cette remarque, à titre de cette suggestion, aux critiques et aux esthéticiens qui s’efforcent d’éclairer les dessous de cette mystérieuse sorte de langage.») (MA, p.15, nous soulignons)

Écoutons-la puisque aussi bien c’est à nous qu’elle semble s’adresser: ce paragraphe métafictionnel nous donne à voir le fonctionnement poétique du récit en même temps que celui de l’île, lieu de la rencontre incongrue de la métaphysique et du roman d’aventures.

Peut-être est-ce parce que le texte lui-même l’évoque peu que l’île du Mont Analogue n’a guère suscité l’intérêt des critiques. Seul le Père Sogol, au cours de son exposé aux futurs membres de l’expédition, mentionne brièvement cette dimension insulaire comme un élément nécessitant des explications, qui ne seront pourtant jamais données.34

Cette lacune est finalement révélatrice: ce que le texte ne dit pas, c’est que l’hybride poétique que constitue le Mont Analogue ne pouvait s’édifier que sur l’île, en tant qu’elle offre à Daumal la possibilité de se jouer des schémas génériques pour tenir ludiquement son lecteur en alerte, lui évitant ainsi l’écueil de l’illusion référentielle comme celui du dogmatisme.

Difficile tentative que celle d’éveiller les consciences quand on est convaincu qu’«à la lettre, ‹transmettre› est faux, […] tout ce qu’on peut transmettre c’est un vase pour la pensée ou un aiguillon pour le penseur35». C’est dans la poésie du symbole que Daumal tenta de résoudre ce paradoxe, construisant pour cela un étrange objet littéraire auquel l’île prête donc non seulement son décor mais aussi son aura poétique.

Et l’on songe aux mots que Marthe Robert écrivait à propos d’autres pays imaginaires: «Cette invitation au voyage dans l’irresponsabilité du fantastique n’est que l’alibi d’un réalisme plus profond, un chemin de traverse au bout duquel la vérité retrouve ses commencements charnels, et l’esprit le premier mot de sa curiosité. C’est ce qu’ont toujours su les grands émules du conte lorsque, en tout sérieux et en toute ironie, ils créaient des terres d’Utopie, des Gargantua, des îles désertes ou des Lilliput: les histoires à dormir debout sont celles qui tiennent le mieux éveillé36

Ouvrages cités

Œuvres de René Daumal

  • Le Mont Analogue, roman d’aventures alpines, non euclidiennes et symboliquement authentiques.– [Paris]: Gallimard «L’Imaginaire», 1999 (version définitive de 1981, première version publiée en 1952).– 177 p.
  • La Grande Beuverie.– [Paris]: Gallimard «L’Imaginaire», 1998 (1938).– 179 p.
  • L’Évidence absurde, Essais et notes I (1926-1934).– [Paris]: Gallimard «Nrf», 1972.– 286 p.
  • Les Pouvoirs de la parole, Essais et notes II (1935-1943).– [Paris]: Gallimard «Nrf», 1972.– 282 p.
  • Tu t’es toujours trompé.– Paris: Mercure de France, 1970.– 253 p.
  • Correspondance III (1933-1944).– [Paris]: Gallimard «les Cahiers de la Nrf», 1996.– 414 p.

Œuvres d’autres auteurs

  • ALPERINE Paul.– La Citadelle des glaces.– Paris: Éditions Jules Tallandier, «À travers l’univers», 1953 (1946).– 254 p.
  • CHAMPAGNE Maurice.– La Cité des premiers hommes.– Paris: Éditions Jules Tallandier, coll. «Grandes aventures et voyages excentriques», 1950 (1928).– 256 p.
  • GROC Léon.– La Cité des ténèbres.– Paris: Éditions Jules Tallandier, coll. «Grandes aventures et voyages excentriques», 1952 (1926).– 254 p.
  • JARRY Alfred.– Gestes et opinions du docteur Faustroll, pataphysicien, in Œuvres complètes.– Paris: Gallimard, coll. «La Pléiade», 1972 (posth., 1911).– p. 657-743.

Ouvrages et articles critiques

  • ACCARIAS Jean-Louis [Dir].– René Daumal ou le retour à soi (Textes inédits et études).– Paris: éditions L’Originel, 1981.– 301 p.
  • BARRY Viviane.– «Utopie et contre-utopie dans l’œuvre de René Daumal», in Utopie et utopies, l’imaginaire du projet social européen, textes réunis par Claude-Gilbert Dubois, t. II.Mont-de-Marsan: Éditions interuniversitaires, 1994.– 209 p., pp. 103-110.
  • CAMUS, Michel.– L’Enjeu du Grand Jeu.– Aiglemont: Mont Analogue éditeur, 1994.– 33 p.
  • CHEVALIER Jean et GHEERBRANT Alain.– Dictionnaire des symboles.– Paris: Robert Laffont / Jupiter, coll. «Bouquins» , 1995 (1969).– 1060 p.
  • FOUGERE Éric.– Les Voyages et l’ancrage, représentation de l’espace insulaire à l’âge classique et aux Lumières (1615-1797).– Paris: L’Harmattan, 1995.– 445 p.
  • GENETTE Gérard.– «Vraisemblance et motivation», in Figures II.Paris, Seuil, «collection Points», 1998 (1969).– 295 p., pp. 71-99.
  • LECOQ Danielle.– «Les îles aux confins du monde» in Île des merveilles, mirage, miroir, mythe, colloque de Cerisy du 2 au 12 août 1993, textes réunis et présentés par Daniel Reig.Paris: L’Harmattan, 1997. 298p, pp. 13-31.
  • ROBERT, Marthe.– Roman des origines et origines du roman.– [Paris]: Gallimard, coll. «Tel», 1977 (1972).– 365 p.
  • RUYER, Raymond.– L’Utopie et les utopies.– Paris: P.U.F., «Bibliothèque de philosophie contemporaine», 1950.– 293 p.
  • SCAIOLA Anna Maria.– «Les signes de l’île invisible, Le Mont Analogue», in L’Île et le volcan, formes et forces de l’imaginaire, textes réunis par Jean Burgos et Gianfranco Rubino.Paris, Lettres Modernes, coll. «Circé», 1996.– 283 p., pp. 185-199.
  • TROUSSON, Raymond.– Voyages au pays de nulle part, «histoire littéraire de la pensée utopique».– Bruxelles: Éditions de l’université de Bruxelles, 1979 (1975).– 296 p.
  • WUNENBURGER Jean-Jacques.– «Utopie: variations autour d’un non-lieu», in Utopie et utopies, l’imaginaire du projet social européen, textes réunis par Claude-Gilbert Dubois, t. I.Mont-de-Marsan: Éditions interuniversitaires, 1993.– 244 p., pp. 13-26.

Notes

1 À André et Cassilda Rolland de Renéville, le 29 novembre 1939, Correspondance III (1933-1944), p. 177.

2 Michel Camus, L’Enjeu du Grand Jeu, p. 22.

3 L’analyse se fonde sur La Cité des ténèbres de Léon Groc, La Cité des premiers hommes de Maurice Champagne et La Citadelle des glaces de Paul Alperine.

4 Le Mont Analogue (MA), p. 94.

5 «L’étendue des mers et des déserts supporte la genèse du monde, qui se présente sous la forme d’une île, grâce au mythe indissociable de l’origine: désir d’habiter l’espace tel qu’il était au commencement, sorti des mains du créateur [...].» Éric Fougère, Les Voyages et l’ancrage, p. 103.

6 Comme le rappelle Danielle Lecoq, «Si l’île fascine c’est en raison de sa propension à disparaître (îles flottantes, émergeantes etc.), de l’extrême facilité avec laquelle on peut la dépasser sans la voir (brume): îles entrevues et jamais retrouvées (Les Aurora), l’océan recèle un nombre indéfini de terres inconnues (beaucoup plus tard que les continents): une virtualité [...]», in «Les îles aux confins du monde», p. 15.

7 Voir le traité d’alpinisme analogique que l’auteur rédigea quelques années plus tôt, in MA, p. 161-166.

8 C’est également Wells que Raymond Ruyer cite en exemple Dans L’Utopie et les utopies (p. 10) pour illustrer la catégorie des auteurs s’étant «servis de la quatrième dimension pour y loger leur ‘monde latéral’», dans Barnstaple chez les Hommes-Dieux.

9 La Grande Beuverie présente d’ailleurs la recherche scientifique sous un jour peu avantageux: «Les Scients prétendent que leur nom vient du latin scire, sciens, de même que le mot science, et qu’il est synonyme de savants. En réalité, il s’apparente à scier, les Scients s’occupant principalement à tout scier, hacher, pulvériser et dissoudre.», La Grande Beuverie, p. 100.

10 Cité sans référence par Jean-Louis Accarias, René Daumal ou le retour à soi, p. 102.

11 «[...] il fallait qu’un intermédiaire existât – encore humain par certains côtés, et dépassant l’humanité par d’autres côtés. Il fallait que, quelque part sur notre Terre, vécût cette humanité supérieure et qu’elle ne fût pas absolument inaccessible.», MA, p. 40-41.

12 MA, p. 58.

13 «Définition: la ’pataphysique est la science des solutions imaginaires, qui accorde symboliquement aux linéaments les propriétés des objets décrits par leur virtualité.» Alfred Jarry, Gestes et opinions du Dr Fautsroll, pataphysicien, p. 668-669.

14 Anna Maria Scaiola, «Les signes de l’île invisible, Le Mont Analogue », p. 186.

15 Gérard Genette, «Vraisemblance et motivation» in Figures II, p. 91.

16 À Raymond Christoflour, le 24 février 1940, Correspondance III, p. 185-186.

17 Raymond Ruyer, L’Utopie et les utopies, p 3.

18 Raymond Trousson, Voyages au pays de nulle part, p. 19.

19 «Utopie et contre-utopie dans l’œuvre de René Daumal»

20 Raymond Ruyer, op.cit.., p. 9 (souligné par l’auteur).

21 MA, p. 40.

22 «Du point de vue de l’objet, on peut certes englober dans l’utopie la sphère d’existence strictement individuelle (ce qui conduit à des utopies du monde privé), mais on lui confère d’emblée une dimension plus rigoureuse si on l’applique à la réalité sociale, à la coexistence collective des hommes dans un nouvel espace-temps.» Jean-Jacques Wunenburger, «Utopie: variations autour d’un non-lieu», p. 14.

23 René Daumal, Tu t’es toujours trompé, p. 166.

24 «Naturellement, les personnages et les circonstances du Mont Analogue sont symboliques: telle est la littérature quand elle se veut utile à l’homme. Dans la circonstance, elle éveille doublement, car toutes les phrases portent. Cela tient à l’intelligence très personnelle de René Daumal et à ce qu’on pourrait appeler son lyrisme de l’ironie.» Roger Nimier, Le Mont Analogue, quatrième de couverture.

25 «Entre deux chaises», 1936, in Les Pouvoirs de la parole, p. 147, nous soulignons.

26 MA, p. 173.

27 Lettre à André et Cassilda Rolland de Renéville, le 29 novembre [1939], in Correspondance III, p. 177.

28 «Les limites du langage philosophique», in Les Pouvoirs de la parole, p. 25.

29 «Symbole et allégorie, réponse de René Daumal» paru dans Fusées, n°2, 7 juin 1942, in René Daumal ou le retour à soi, p. 86.

30 «les îles viennent, en substitution des continents, s’inscrire dans une pensée du recommencement. Une île, monde clos, est aussi le témoin d’un univers en constante éclosion.» Éric Fougère, Les Voyages et l’ancrage, p. 174.

31 Dictionnaire des symboles, p. 519 et 189.

32 Anna Maria Scaiola, «Les signes de l’île invisible, Le Mont Analogue », respectivement pp.194-195.

33 En réponse à l’exégèse que Hubert Larcher fait dans Fusées du conte des Hommes-Creux et de la Rose-amère, publié dans les Cahiers du Sud et qui s’intègre en fait au Mont-Analogue:«Symbole et allégorie, réponse de René Daumal» p. 86., souligné par l’auteur.

34 «Supposant – je vous dirai tout à l’heure pourquoi – que le territoire caché soit une île, je représente ici les trajets d’un navire allant de A vers B [...]» (MA, p. 64).

35 René Daumal, «Les limites du langage philosophique» in Les Pouvoirs de la parole, p. 15, souligné par l’auteur.

36 Marthe Robert, Roman des origines, origines du roman, p. 103.