Restaurer le blanc des cartes ou comment Pierre Senges escamota l’Amérique

Restaurer le blanc des cartes ou comment Pierre Senges escamota l’Amérique

Camus, Audrey. "Restaurer le blanc des cartes ou comment Pierre Senges escamota l’Amérique." In La Carte : point de vue sur le monde, edited by Rachel Bouvet, Hélène Guy and Éric Waddell, 247-265. Montréal: Mémoires d'encrier, 2008.

Si celui qui voit ces choses reste en si grande admiration, que sera-ce pour celui qui l’entendra ? Personne ne le pourra croire ne l’ayant pas vu. —Christophe Colomb, Journal de bord, 25 novembre 1492

Il n’y a pas pire menteur qu’un voyageur de retour, surtout s’il retourne de nulle part. —Pierre Senges, La Réfutation Majeure

En 2004, les éditions Verticales publient La Réfutation Majeure, « version française, d’après Refutatio major, attribué à Antonio de Guevara (1480-1548) »[1]. Le livre arbore sur sa couverture le nom de Pierre Senges. Il convient de préciser d’emblée que si Antonio de Guevara a bien existé, sa bibliographie ne porte pas mention du texte qu’on lui impute.

Majeure, la réfutation que ce dernier met en œuvre l’est effectivement, puisqu’il s’agit rien moins que de mettre en cause l’existence de l’Amérique récemment découverte. Procédant à l’inventaire méthodique des motifs qui ont occasionné une telle mystification comme de ses bénéficiaires, tant dupeurs que dupés, les pages qui retracent l’histoire des Grandes Découvertes pour en mettre au jour les dessous s’accumulent, et plus l’auteur en noircit, emportant la conviction de son lecteur amateur de fables, plus les contours du Nouveau Monde s’estompent, le continent disparaissant peu à peu de la carte où il vient tout juste d’être ajouté. La postface trace le pourtour du livre comme du pays manquant, dont elle manifeste de la sorte l’existence comme en creux. Elle figure ce faisant une manière de trou noir qui appelle à son tour la prolifération des commentaires, quand la carte, dans le même mouvement, retrouve sa blancheur virginale. Par le court-circuit temporel qu’il emprunte au maître Borges – le coup du Pierre Ménard –, dans un mouvement exactement contraire à celui déployé par les explorateurs et les cartographes et qui lui sert de canevas inversé, Pierre Senges réussit le tour de force d’escamoter l’Amérique pour faire de son texte prétendu incrédule un nouveau livre des merveilles. Explorant la ligne ténue qui sépare la découverte de l’invention et la représentation cartographique de la description, il nous offre ainsi l’occasion de questionner l’imaginaire que véhicule pour nous le blanc des cartes à l’heure où il n’est plus une seule parcelle du globe qui nous soit inconnue.

L’invention de l’Amérique

La Réfutation Majeure se présente donc comme la version française d’un texte anonyme en latin dénonçant l’imposture que constitue la soi-disant découverte de l’Amérique, imposture dont il explique longuement les ressorts et les motivations. Telle qu’elle est donnée dans sa version moderne, la Réfutation, précédée d’une épître dédicatoire adressée à l’empereur Charles Quint, s’accompagne d’une postface allographe qui fournit des éléments de bibliographie concernant l’établissement du texte et son histoire et traite en particulier de la question épineuse de son attribution. Le livre, mentionné ici et là par quelques historiens, aurait été composé entre 1517 et 1525 par Antonio de Guevara, évêque de Cadix et confesseur de l’empereur. Cependant, si l’hypothèse Guevara est, semble-t-il, la plus plausible, plusieurs autres protagonistes de l’histoire des Grandes Découvertes ont été considérés comme des auteurs possibles, parmi lesquels Amerigo Vespucci et la Reine d’Espagne elle-même, Jeanne Ière, dite Jeanne la Folle.

Sans qu’il soit toujours possible de démêler le vrai du faux, tant les références foisonnent et tant le mensonge semble inextricablement lié aux événements en cause, il ne fait guère de doute en revanche que les deux textes que le livre contient sont de la plume de Pierre Senges[2]. Pierre Senges qui, mettant en scène la dénonciation d’une mystification enchâssée dans une enquête philologique, se livre lui-même à une supercherie doublée d’une imposture. On a donc affaire à un texte aussi contradictoire que sa facture est complexe. Le tableau suivant permettra de l’expliciter:

 

Point de vue interne à la fiction

Point de vue externe à la fiction

Premier texte

Deuxième texte

Troisième texte

(somme des deux précédents)

Titre

Refutatio Major

Postface

La Réfutation majeure

Auteur

Anonyme

(La postface établit une liste d’auteurs présumés dont le plus plausible est

Antonio de Guevara)

Éditeur scientifique de Refutatio Major, dont l’identité n’est pas précisée.

Pierre Senges si l’on en croit le nom qui figure sur la couverture.

Pierre Senges

Date

Entre 1517 et 1525

2004

2004

Propos

L’Amérique n’existe pas

L’identité de l’auteur de Refutatio Major est incertaine

Signification implicite

contradictoire des deux autres

Tableau 1: Le dispositif fictionnel de la Réfutation majeure

Si la publication du livre chez un éditeur de fiction et le fait que seul le nom de Pierre Senges apparaisse sur la couverture désignent ce dernier comme l’auteur de l’ouvrage que le lecteur a entre les mains, la page de titre et la quatrième de couverture, communément tenues pour échapper à la fiction, instaurent la confusion en attribuant le texte à Antonio de Guevara, de même que le prière d’insérer figurant dans le service de presse, lequel va jusqu’à donner le numéro de référence de l’exemplaire latin de la bibliothèque de Grenoble dont il est censé provenir. On distingue donc deux modes de lecture, selon qu’on se place d’un point de vue interne à la fiction pour croire à l’existence d’un manuscrit latin récemment exhumé, mettant en œuvre ce que l’on a coutume de nommer, à la suite de Coleridge, la suspension d’incrédulité – ou selon qu’on considère Pierre Senges comme l’auteur d’une fiction spéculative. Dans le premier cas, on a affaire à un livre composé de deux textes, l’un daté de 1520 environ, intitulé Refutatio Major et signé Antonio de Guevara, visant à démontrer que l’Amérique n’existe pas, l’autre, probablement écrit au début du XXIe siècle par un dénommé Pierre Senges expliquant que l’identité de l’auteur de Refutatio Major est incertaine mais que l’hypothèse Guevara est la plus vraisemblable. Si l’on adopte un point de vue externe à la fiction, le livre est alors composé de trois textes: le premier, intitulé La Réfutation Majeure et publié aux éditions Verticales en 2004 par Pierre Senges, consistant à feindre l’existence des deux autres dont il constitue la somme en même temps que la négation. Le propos de ce livre, implicite, tient somme toute dans cette contradiction; ce que ces emboîtements et ces ambivalences masquent et dévoilent tout à la fois, c’est une vérité paradoxale comme sait l’être la fiction, vérité qui relève de l’interprétation du lecteur et que l’on pourrait formuler de la sorte: Refutatio Major n’existe pas, et Pierre Senges en est l’auteur.

Un tel dispositif permet d’abord, on l’a dit, un court-circuit temporel à la manière borgésienne. Qu’on se souvienne de la fiction intitulée « Pierre Ménard auteur du Quichotte », dont l’argument est, rappelons-le rapidement, le suivant: un auteur du XXe siècle compose Don Quichotte sans le recopier. L’admirable ambition de Pierre Ménard, nous dit la nouvelle, est de « reproduire quelques pages [du chef-d’œuvre] qui coïncideraient – mot à mot et ligne à ligne – avec celles de Miguel de Cervantès »; mais si « le texte de Cervantès et celui de Ménard sont verbalement identiques, […] le second est presque infiniment plus riche. »[3] En effet, puisque le contexte de production et de réception ont totalement changé: le style, de contemporain, devient archaïque; les idées véhiculées par le livre prennent une signification différente au regard de celles du temps; ce qui était une parodie des romans de chevalerie devient roman historique, etc. Si l’on met de côté la question de l’identité problématique de l’auteur pour s’intéresser au problème de temporalité soulevé par l’apologue, le texte de Borges permet d’éclairer l’un des aspects fondamentaux de celui de Senges: d’un certain point de vue, le procédé dont use ce dernier et qui consiste à publier le texte du pseudo-Guevara en 2004 revient à dénoncer l’existence de l’Amérique aujourd’hui même, alors même que nous en foulons le sol.

C’est parce qu’elle est parfaitement absurde et inadmissible en l’état actuel de nos connaissances que l’idée vaut d’être magistralement défendue, le plaisir de l’auteur, comme le titre le signale à sa manière, procédant d’une pure jouissance sophistique. En rhéteur averti, Pierre Senges se joue de notre crédulité – en particulier de cette conviction qui veut que la représentation suppose un donné préalable, pour faire la preuve de l’impossible. Comment comprendre qu’il en appelle à notre scepticisme sur un objet qui ne souffre précisément aucune réfutation ? Ce que cet habile jeu d’impostures où vérité et mensonge peinent à se distinguer met en question n’est évidemment pas tant l’existence de l’Amérique que la conception du monde qui est la nôtre, conception dont l’ambivalence intrinsèque au verbe inventer rend spectaculairement compte. Le terme en effet, s’il signifie créer, a également eu en latin le sens de découvrir, et les spécialistes de ce que l’on continue généralement d’appeler les Grandes Découvertes sont nombreux à avoir usé de cette double acception pour réécrire l’histoire de la conquête du Nouveau Monde[4]. La notion d’« invention de l’Amérique », apparue dès le premier tiers du XVIe siècle, désigne ainsi pour les historiens contemporains la dimension illusoire de cette conquête qui couronne une pratique fictionnelle de la géographie à laquelle elle met fin, et stigmatise tout à la fois la vision colonisatrice du monde dont elle procède. Entendue littéralement, elle fournit à Pierre Senges la matière de sa propre fabulation, dont la construction ingénieuse réclame d’être lue à la lumière de cette réflexion sur l’historiographie[5].

La description du monde

L’invention de l’Amérique se fait par les récits de ces explorateurs, de ces savants et de ces historiens qui peuplent les pages de La Réfutation Majeure : Christophe Colomb mais aussi Hernán Cortés, Pierre Martyr d’Anghiera et tous les autres, lesquels apparaissent après Homère, Pline ou Hérodote comme autant d’imposteurs. Elle se fait aussi, de manière plus frappante encore, à travers la carte, par laquelle une réalité incertaine prend forme si précise. Le latin, qui a pu désigner la carte du terme de descriptio[6] l’avait fort bien compris: ce que l’écrivain, avec Marco Polo, appelle Le Devisement du monde – c’est-à-dire sa description – passe d’abord, et plus que jamais depuis les voyages de Colomb, par la cartographie. Or, comme l’observe François Wahl:

L’espace est d’abord une écriture. Pas seulement celui de la géographie, celui de la géométrie aussi bien. Rien ne peut en être pensé hors par ce qui s’en dessine, ou que les lettres, les chiffres et les vecteurs désignent. D’où toujours un « effet de cercle » entre chose et signifiant, mais particulièrement manifeste ici : l’écriture du cartographe n’a pas de sens « propre » hors de son référent (la surface terrestre), c’est une des écritures les moins autonomes qui soient, mais ce référent à son tour n’est pas même imaginable avant qu’il n’ait été écrit (avant la carte)[7].

Le souci objectif, convaincu qu’il n’est pas de carte sans référent, oublie un peu vite ce pouvoir conféré à la représentation cartographique par son histoire de tirer des contrées du néant. Si la carte atteste de l’existence du territoire, elle devient assez naturellement, de fait, la preuve de cette existence par la vertu d’un syllogisme fallacieux. Et dès lors qu’elle se donne pour trace et représentation scientifique – témoignage fidèle –, il suffit d’y ajouter quelque chose pour que cela soit. Ainsi, pour l’auteur de la Refutatio, le monde nouveau n’existe-t-il que sous la forme écrite d’un livre de comptes, et parce que la carte lui donne naissance:

Faire naître des îles sur le papier est un jeu grisant: je m’y suis livré à mon tour pour apprécier l’ivresse que procure la tromperie, et celle d’une aventure en haute mer, à si peu de frais, se prolongeant dans le tracé minuscule de golfes et de collines, de ports naturels, de pointes, de caps, de deltas, de marais, d’ossuaires et de rocs peuplés de poules grises ; il suffisait d’y faire gambader des corsaires. (RM, pp. 23-24)

Par opposition à l’existence volatile de ces îles fantômes que leur peu d’étendue et la brume qui les cerne bien souvent dissimulent au regard du navigateur, îles dont la virtualité a si fréquemment attisé l’imagination des découvreurs comme des littérateurs, soulignons en passant l’énormité que constitue l’ajout d’un continent à la carte – et la hardiesse proportionnelle de Pierre Senges qui en fait le fondement de sa fiction. La mention de l’imaginaire Terre Australe qui occupa le pôle sud de la mappemonde pendant des siècles permet toutefois de la relativiser. Si les cartographes sont nombreux à avoir répertorié des îlots évoqués par un seul explorateur et jamais retrouvés ensuite, combien ont créé de toutes pièces une terre gigantesque au motif d’une symétrie pondéraire entre les deux hémisphères[8] ? Il apparaît que la carte, censée se conformer au territoire dont elle rend compte, fait volontiers coïncider la configuration du terrain à l’imaginaire qui en a précédé la découverte.

Selon (le pseudo-) Antonio de Guevara, les ateliers de Waldseemüller, qui imprimèrent la première carte dénommant l’Amérique, fonctionnent de manière simple: on y rassemble une poignée de poètes ivrognes en proie au delirium tremens, qui auront tôt fait de « prendre leur table de travail pour le pont d’un navire », et l’on charge quelques scribes de recueillir leurs divagations. Mais plus que leurs inventions, ce que leur reproche surtout Guevara c’est la faiblesse de leur imagination:

Ces élucubrations […] se voudraient merveilleuses en faisant miroiter les ors de la Chersonèse, mais à tout prendre elles n’ont pour la plupart que des airs de gloses, si sèchement qu’elles ressemblent au commentaire du Cantique des Cantiques par un abbé châtré depuis sa petite enfance. Ce qui me frappe, ce n’est pas tant la crédulité de mes contemporains que leur austérité dans la crédulité, cet air confiné que prend leur imagination quand une fois pour toutes les inventeurs et les cartographes assignent les rêves à si peu de choses : une poignée d’îles, des indigènes mal famés, et quelques légumes. (RM., p. 27)

Alors que les « fomenteurs de terres nouvelles » auraient pu inventer tant de prodiges, rien ne les intéresse au fond que le commerce, constate Guevara déçu. Leur crime est donc double: non contents de réduire l’espace dévolu à l’imagination en introduisant dans la carte, par la seule vertu du mensonge, un continent là où il n’y avait rien, ils substituent leurs créations insipides à celles de leur prédécesseurs, dont elles ne sont jamais qu’une pâle imitation[9]. Ce faisant, ils débarrassent la surface du globe des créatures de l’imaginaire dont il était peuplé et soldent la merveille à bon compte – car si pour les explorateurs-marchands qui les ont mises en circulation les inventions nouvelles sont sans aucun doute plus rentables, il est évident que les contemporains de Guevara, et nous lecteurs avec eux, perdons irrémédiablement au change.

Comment, dès lors, défaire ce qui a été fait ? Confronté à la marée des livres proclamant l’existence de l’Amérique, Guevara écrit un livre pour les réfuter tous, en opposant le doute systématique à l’assertion. Par là, il ne s’agit plus de noircir la page ou de remplir la carte, mais bien de tenter de retrouver leur blancheur perdue en défaisant la démonstration, d’effacer l’écriture en la recouvrant par l’écriture. Pour comprendre ce qui se joue ici, il suffit de lire à rebours la description de l’amplification du mensonge ayant, selon l’auteur de la Refutatio, conduit à l’invention de l’Amérique:

C’était d’abord un écueil, puis une poignée de rochers affleurant, puis une île, puis un archipel : c’est devenu ensuite une presqu’île rattachée à une autre terre; à force d’exagération, les menteurs de retour de voyage, les cartographes eux-mêmes et les affairistes comptant sur les arpents de terrain à rentabiliser, les prêcheurs et les missionnaires ont ensuite transformé cette presqu’île en pays, le pays en continent. Voyez que bientôt ce continent sera un globe terrestre, tout juste tangent au nôtre et sur lequel on grimpera: ce serait la Lune, s’il fallait nous faire avaler d’autres sornettes et parce que notre appétit de mensonges est insatiable (RM., p. 21)

De l’île au continent en passant par la presqu’île, tel est bien le mouvement qui présida à la découverte du Nouveau Monde. Mais en substituant l’invention à la découverte, Guevara invite son lecteur à rebrousser chemin du continent à la presqu’île, de la presqu’île à l’archipel puis à l’île, de l’île à la poignée de rochers, à l’écueil, puis au néant, propice à la chimère. Car la démarche d’un Pierre Senges, précisons-le, est rien moins que négative. S’il s’agit de reconquérir le blanc de la carte, ce n’est nullement en effet pour fabriquer du vide, mais bien un espace libre pour l’imaginaire. Prendre l’histoire de la cartographie à rebours est un moyen de retrouver ce réservoir fantastique[10] que constitue la terra incognita avant d’être réduite à un espace à arpenter: le blanc succédant dans les faits au monstre et à l’allégorie, il y ramène lorsqu’on remonte le cours du temps.

Somme toute, La Réfutation majeure inverse les quantifications: en produisant du commentaire sur ce qui existe (l’Amérique), on l’efface; en produisant du commentaire sur ce qui n’existe pas (un livre), on crée de l’existant. Ainsi se manifeste le refus de l’écrivain de dire un monde d’où la merveille a déserté, en même temps que l’impossibilité qui lui est faite d’assumer ce refus dès lors que la mappemonde n’arbore plus le moindre mystère.

La transmutation du savoir

Face à cette disparition de l’inconnu, où puiser la matière de l’écriture ? Dans le doute, la spéculation, l’hypothèse. Ainsi la dernière partie de la postface, qui termine en inventoriant la pléthore des auteurs putatifs du texte, s’intitule-t-elle « L’hypothèse comme odyssée »: le choix du terme n’est évidemment pas anodin, dans lequel se laisse entendre, outre l’assimilation d’une démarche intellectuelle à un voyage concret semé d’aventures, la mémoire du texte d’Homère, ce texte fondateur en vertu duquel l’horizon ne saurait rien recéler que la merveille. Devant la difficulté de déterminer qui est réellement l’auteur de Refutatio Major, la postface conclut qu’au fond cela n’a pas d’importance, le jeu des attributions étant autrement plus amusant qu’une autorité irréfutable, surtout quand il est pratiqué « comme genre concurrent du roman de chevalerie » (RM, p. 228). À considérer Don Quichotte comme une révérence au genre, on peut voir dans cette analogie un hommage à Cervantès – dont Pierre Senges est lecteur[11]. Car Guevara cherchant à prouver l’inexistence de l’Amérique n’est pas sans rappeler l’ingénieux hidalgo de la Manche guerroyant contre des moulins à vents: à un siècle de distance et contre toute raison, l’un et l’autre consacrent leur énergie à défendre un univers fabuleux en train de disparaître.

Une telle formulation fait de la philologie un vecteur de la merveille au même titre que l’hypothèse. Or, ces deux expressions, absolument fondamentales pour comprendre l’œuvre de Pierre Senges – « l’hypothèse comme odyssée » et l’attribution « comme genre concurrent du roman de chevalerie » – entrent en résonance avec une troisième, prononcée cette fois-ci par l’auteur lors d’un entretien, où il évoquait justement Borges et décrivait la manière de l’auteur argentin comme une pratique de « l’érudition comme conte de fées »[12]. Si l’on peut percevoir dans cette formulation qui semble englober les deux précédentes un lointain écho au mirage de l’impossible vérité dont la notion d’invention de l’Amérique fait état, elle instaure surtout une parenté entre savoir et merveille pour le moins inhabituelle, en ce que le premier est réputé démentir la seconde. Évidemment pas pour l’écrivain qui y puise la matière de ses récits, car le pouvoir d’invention de la fiction passe ici par son contraire: on altère l’existant plutôt que d’ajouter au monde, on lui porte atteinte. Là s’explique clairement cette volonté intempestive de faire disparaître l’Amérique qui préside à La Réfutation Majeure : de même que l’explorateur a absolument besoin des blancs de la carte pour y mettre ses continents, le faussaire ou l’imposteur profitent des trous de l’Histoire et le littérateur des lacunes du texte pour y inscrire leur fiction: en dépit de notre propension à croire que le livre ou la carte représentent le monde, ce qui est écrit du monde est toujours écrit en réalité sur le monde.

On a là, peut-on affirmer, trois modalités essentielles de la démarche de Senges, qui permettent en fait d’éclairer les trois textes identifiés tout à l’heure comme constitutifs de La Réfutation Majeure. Chacun des textes illustre en effet l’un de ces principes d’écriture, et donne le jour ce faisant à une figure chargée de l’incarner. Si l’on se place cette fois-ci du point de vue externe pour tous les textes, on obtient le tableau suivant:

 

1er texte

2e texte

3e texte

(somme des deux précédents)

Titre

Refutatio Major

Postface

La Réfutation majeure

Modalité

« L’hypothèse comme odyssée »

« L’attribution comme genre concurrent du roman de chevalerie »

« L’érudition comme conte de fées »

(érudition englobe hypothèse & attribution)

Figure

Le faussaire

L’imposteur

Le littérateur (faussaire & imposteur)

Tableau 2: les modalités de la transmutation du savoir opérée par la Réfutation majeure

La lecture de La Réfutation Majeure selon les trois modalités représentées ci-dessus est le fait du lecteur contemporain ayant interprété le dispositif textuel et attribué ce premier texte non à Guevara comme la fiction y invite, mais bien à Pierre Senges. Elle s’oppose à une lecture au premier degré, laquelle peut d’ailleurs fort bien être mise en œuvre[13]. Cette ambiguïté du dispositif qui appelle tantôt la lecture d’une dénonciation de l’invention de l’Amérique comme gigantesque escroquerie (compréhension des premier et deuxième textes du point de vue interne) et tantôt la lecture d’une fiction spéculative ludique et mensongère (compréhension des trois textes du point de vue externe telle que représentée dans le tableau ci-dessus), reflète l’ambivalence du propos. On a vu tout à l’heure que Senges, mettant en scène une fiction qui dénonce le faux et l’imposture, les pratique tous deux. Le fait est que ces deux pratiques sont différemment connotées selon la perspective adoptée. Chez Guevara, le faussaire et l’imposteur s’incarnent dans les grands explorateurs au service du mensonge marchand et sont en tant que tels détestables. Par le jeu de l’inversion, Senges réinvestit positivement ces figures pour les associer à celle de l’écrivain qui, comme l’indique assez la mention de l’odyssée, du roman de chevalerie et du conte de fées, en use pour devenir explorateur de l’imaginaire.

Une métaphore du texte permet d’éclairer la démarche des deux auteurs – l’auteur imaginé et l’auteur imaginant, et la transmutation du savoir qu’elle opère pour le lecteur averti: c’est celle de l’alchimie. Selon Guevara, l’un des possibles points de départ de l’invention de l’Amérique pourrait bien être la mésinterprétation d’un petit traité d’alchimie qui emprunte métaphoriquement à la navigation et au voyage, avec lesquels il partage la structure de la quête et la découverte. Or, de même que l’or rapporté dans les cales des navires dévalue les monnaies européennes, la transformation du plomb en or déprécierait indubitablement la pratique alchimique. Il faut ainsi distinguer entre l’alchimie humide, qui croit lire dans les traités hermétiques des invitations au voyage et dont les tenants s’en vont « chercher l’or au large au lieu de le créer de toutes pièces » et l’alchimie sèche, qui cultive volontiers une « mythologie de la défaite ». Car « dès l’instant où on lui prête l’attention convenable, l’alchimie se révèle être la science permettant de conserver le plus longtemps possible la rareté de l’or » (RM., pp. 149-151).

Ainsi les explorateurs doivent-ils certainement chercher mais non pas trouver, le meilleur moyen de ne pas trouver étant de se claquemurer. On comprend que le livre de Senges n’est rien d’autre au fond qu’une chasse au trésor absurde, dont l’objet est d’escamoter le trésor pour que la quête perdure. Une telle pratique permet de renouer avec la cartographie médiévale qui fait de la carte un récit, en exploitant la ficticité qui en est indissociable selon Paul Zumthor, ficticité exaltée par le Moyen Âge et masquée par la prétention scientifique moderne[14] mais que son réinvestissement tardif dote, peut-on penser, d’une tout autre signification. Après avoir arpenté et façonné le monde de ses pas, après l’avoir couché à plat jusqu’à en éradiquer la moindre zone d’ombre, ne reste plus à l’homme désireux de reprendre son ascendant sur l’espace que d’en modifier le tracé[15].

À travers un dispositif textuel complexe inspiré de la pratique de la fiction pseudo-historique de Fray Antonio de Guevara et fondé sur la notion d’invention de l’Amérique, Pierre Senges explore le pouvoir fantasmatique de la carte et son ascendant sur le monde pour changer le savoir en or; il répare ce faisant les erreurs reprochées aux découvreurs du continent nouveau par l’auteur prétendu de la Refutatio. Faute d’un pays imaginaire pour les accueillir, c’est en revisitant la cartographie, l’Histoire et la littérature que l’écrivain, par la grâce de l’érudition, se fait pourvoyeur de merveilles. Car si aux yeux de Guevara l’imagination des découvreurs-marchands ne produit plus que des histoires galvaudées, l’inventaire des prodiges auquel procède le livre de Pierre Senges, par contre, offre un voyage fabuleux à son lecteur. En convoquant dans ses pages cette moisson de créations légendaires, des Acéphales à l’oiseau roc en passant par le château de Merlin, Senges engendre sa propre chimère, nourrie de toutes celles qui l’ont précédées, mais à la fois unique, sans équivalent aucun. Car si Guevara réussit le tour de force de rayer l’Amérique de la carte, on peut penser que Pierre Senges, par la pratique du renversement qui lui est cher, réalise un prodige plus spectaculaire peut-être, en exauçant le souhait de son personnage: celui de nous inventer. Il n’est que de lire ces phrases ultimes de la Réfutation pour se convaincre de la magie que la carte, aussi noircie soit-elle, continue malgré tout de recéler, pour peu qu’on s’y laisse prendre:

On le voit : ce qui peut nous arriver de plus regrettable, ce serait d’être un beau jour découverts par des aventuriers barbus (nous-mêmes), descendant de caravelles à la fois familières et déroutantes – c’est-à-dire être subjugués, envahis, traités comme des incapables, des idiots ou des enfants, des irresponsables vendus par des marchands d’esclaves, rachetés par des prêtres, aimés comme le sont les gisements ou les totems une fois prouvé que le dieu qu’ils représentent n’a jamais existé ni sur terre, ni au ciel, ni dans un perpétuel incendie. Quant à moi, voilà plutôt ce que je souhaite : que des étrangers connus ni d’Ève ni d’Adam, avant de nous accoster ou au lieu de le faire, nous inventent, et nous fassent cette grâce : nous attribuer des trésors et nous prêter des intentions dont nous n’aurons jamais idée […]. Car pour accepter d’être encore en vie sur ce continent vieilli en une seule nuit, il faudra que de tels inconnus, hypothétiques mais bien vivants, offrent à notre terre tout ce que nous avons légué au soi-disant monde nouveau : tant d’images, tant de noms, tant de centaures et de licornes, tant de montagnes d’or, tant de puits de diamants, tant de nombrils en forme d’émeraude, tant de spectres, tant de forêts, tant de palmes, tant de jouvence au bec d’une fontaine. En attendant qu’un navire sous la bannière à deux couleurs de la générosité et de l’avidité accepte de nous accoster, pour seulement déposer à nos pieds ces richesses n’appartenant à personne – à personne. (RM, pp. 184-186)

Almirante de navios para las Indias

Almirante de navios para las Indias, dans Honorus Philoponus [Caspar Plautius], Nova typis transacta navigatio novi orbis Indiae Occidentalis (Venise, 1621), Benson Latin American Collection, General Librairies, University of Texas at Austin. Cette gravure illustre le prière d’insérer de La Réfutation Majeure.

Ouvrages cités

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BOUTOUILLET Guénaël, Pierre Senges, fragile et d’aplomb, dossier, http://remue.net, 2004 (dernière consultation le 5 mars 2007).

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COLOMB Christophe, La Découverte de l’Amérique, t. 1 « Journal de bord et autres écrits, 1492-1493 » / traduit par Soledad Estorach et Michel Lequenne, introduction historique de Michel Lequenne, Paris, Éditions La Découverte, coll. « Poche », 2002.

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GUEVARA Antonio de, L’Horloge des princes, avec le très renommé livre de Marc-Aurèle / recueilly par don Antoine de Guevare, traduict en partie de castilan en françois par feu N. de Herberay, seigneur Des Essars, Paris: impr. de G. Le Noir, 1555 (1528).

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Notes

[1] Pierre Senges, La Réfutation majeure, Paris, Éditions Verticales, 2004. Sera désormais désigné RM.

[2] Précisons que si l’on ne trouve pas trace d’une Refutatio Major dans la bibliographie d’Antonio de Guevara, ce dernier est en revanche l’auteur d’une Horloge des Princes datant de 1529 qu’il attribua faussement à Marc Aurèle, prétendant transmettre le texte d’un manuscrit grec qu’il se serait fait traduire. Ce livre, effectivement adressé à Charles Quint, constitue un réquisitoire déguisé contre la conquête espagnole du Nouveau Monde. Sachant que d’aucuns considèrent Guevara comme un maître de la fiction pseudo-historique, la construction du texte s’avère à l’examen plus subtile encore qu’il y paraît. À propos du « livre doré de Marc Aurèle », on peut consulter en particulier Carlo Ginzburg, « L’estrangement. Préhistoire d’un procédé littéraire » dans À distance. Neuf essais sur le point de vue en Histoire, Paris, Gallimard. coll. « NRF », 2001 (1998). Sur la dimension hybride de l’écriture de Guevara, voir Horacio Chiong Rivero, The Rise of Pseudo-Historical Fiction : Fray Antonio De Guevara’s Novelizations, New York, Peter Lang Editor, 2004.

[3] Jorge Luis Borges, « Pierre Ménard, auteur du Quichotte » dans Fictions, nouvelle édition revue et augmentée, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1996 (1941 et 1944), respectivement pp. 45 et 49.

[4] Parmi les ouvrages récents qui jouent de cette double acception, citons Thomas Gomez, L’Invention de l’Amérique. Mythes et réalités de la Conquête, Paris, Champs-Flammarion, 1992 et José Rabasa, L’Invention de l’Amérique. Historiographie espagnole et formation de l’eurocentrisme, Paris, L’Harmattan, coll. « Histoire des Sciences Humaines », 2002 (1993). Rabasa, qui fait état de la première occurrence de cette notion d’invention de l’Amérique aux environs de 1528 sous la plume de Hernán Pérez de Oliva, réfère à l’ouvrage de l’historien mexicain Edmundo O’Gorman intitué La invención de América paru en 1958.

[5] Il est d’ailleurs frappant de constater à quel point les propos de José Rabasa visant à expliciter sa démarche se trouvent éclairer celle de Pierre Senges. L’historien, évoquant la nécessité de « décoloniser la subjectivité » affirme: « cependant, ce démantellement ne s’effectue pas en contredisant des faits, c’est-à-dire en établissant que les premières versions du Nouveau Monde étaient “fausses” ou imposées, mais plutôt en déstabilisant le domaine du réel même. Ce qui présente de l’intérêt ici, c’est une contre-fiction servant à contester la domination exercée par les fictions institutionnelles occidentales; il n’est absolument pas question de corriger le récit. » José Rabasa, L’Invention de l’Amérique, op. cit., pp. 19-20.

[6] « Description, dans une suggestive oscillation, dit à la fois le dessin et le texte: nom latin de la carte, il sert aussi de titre aux atlas ou aux géographies néo-latines et françaises, rappelant que la carte, dans sa seule dimension figurative, est aussi discours sur le réel. » Bernard Beugnot, « Présentation: de rives en rêves » dans Bernard Beugnot et Françoise Siguret, dir., « Cartographies », Études françaises, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, volume 21, numéro 2, automne 1985.

[7] François Wahl, « Le désir d’espace » dans Centre de Création Industrielle, Cartes et figures de la terre, Paris, Centre Georges Pompidou-Centre de création industrielle, 1980, p. 41.

[8] Pour une figuration ludique de cet aspect du problème, voir « L’atelier du cartographe » de Claire Brétécher et Frank Lestringant dans Cartes et figures de la Terre, op. cit., pp. 468-469.

[9] Rien n’est plus vrai au fond puisque Christophe Colomb semble bien interpréter ses découvertes à la lumière de l’Imago Mundi de Pierre d’Ailly et du Livre des merveilles de Marco Polo, qui le guident dans son périple. Sur ce point, voir l’introduction historique de Michel Lequenne au Journal : Christophe Colomb, La Découverte de l’Amérique, t. 1 « Journal de bord et autres écrits, 1492-1493 », Paris, Éditions La Découverte « poche », 2002.

[10] L’expression est de Jean-Loup Rivière, « Terra Incognita » dans Cartes et Figures de la Terre, op. cit p. 134. Sur l’histoire du blanc des cartes voir également Isabelle Laboulais-Lesage, « Introduction » dans Combler les blancs de la carte, Presses Universitaires de Strasbourg, 2005.

[11] Voir Pierre Senges, L’Idiot et les hommes de paroles, Paris, Éditions Bayard, coll. « Archétypes », 2005.

[12] Entretien avec Guénaël Boutouillet, « Pierre Senges, fragile et d’aplomb », dossier, http://remue.net, 2004.

[13] Observons que cette lecture n’a rien d’impossible dans la mesure où le péritexte éditorial (4e de couverture et même prière d’insérer à l’adresse des journalistes) ne permet pas d’identifier la supercherie. La teneur des commentaires de certains lecteurs à propos de La Réfutation Majeure sur les sites Internet de vente de livres en ligne en atteste d’ailleurs.

[14] Voir Paul Zumthor, « Cartographies », dans La Mesure du monde, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 1993.

[15] Les trois modes d’appréhension de l’espace distingués par Christian Jacob et Frank Lestringant à l’orée du livre qu’ils consacrent aux Arts et légendes d’espaces se révèlent particulièrement éclairants pour circonscrire le blanc des cartes: « voyager et agir dans l’espace, le construire par des gestes et des parcours; le représenter par la carte et sa légende, en faire ainsi le support de mille discours […]; agir de nouveau sur l’espace par le biais et à l’intérieur de sa représentation ». Christian Jacob & Frank Lestringant, « Les Îles menues », dans Arts et légendes d’espaces, Paris, Presses de l’ENS, 1981, p. 14. À travers le troisième mode, les auteurs visent surtout la pratique qui consiste à modifier les contours d’un territoire ou à y ajouter des monstres alors qu’il demeure au moins partiellement inconnu, mais l’on peut penser que le livre de Pierre Senges procède du même mouvement, qui pousse cette logique jusqu’à ses extrémités et l’adapte à notre temps.