Le Pays Imaginaire dans la littérature narrative française du XXe siècle · Présentation sommaire

De l’Atlantide à la Balkhyrie en passant par Lilliput, nous arpentons, dans notre existence de lecteur, bien des terres inconnues dont nulle carte ne fait mention. Tous ces pays imaginaires forment dans notre mémoire un territoire à part, qui subsume la diversité de leurs appartenances culturelles et temporelles, leurs vocations disparates et leurs significations variées. Pourtant, le Pays Imaginaire tend à se soustraire à la reconnaissance catégoriale. Ce travail procède d’une volonté de cerner cet objet qui semble avoir échappé à la théorisation en dépit de son évidence instinctive, attestée de surcroît par nombre d’anthologies.

L’analyse des raisons de cette méconnaissance, constituant le préalable indispensable à la définition du Pays imaginaire, met en lumière deux causes théoriques essentielles. La première réside dans la propension du Pays Imaginaire à passer les frontières tant génériques que chronologiques, se dérobant ainsi aux analyses de type « régionaliste » : elle est à l’origine du choix de décloisonner les perspectives par une approche transversale d’essence comparatiste. La seconde tient à l’ambiguïté définitionnelle attachée à l’adjectif imaginaire, ambiguïté qui s’exprime de manière exemplaire à travers la question suivante : tout espace fictionnel n’est-il pas imaginaire ? Il apparaît en fait que ce qui se joue dans l’usage malencontreux de l’adjectif imaginaire concerne le problème fondamental de la mimèsis et celui, corollaire, de l’ontologie des univers fictionnels, problèmes qu’il a fallu reconsidérer pour rendre sa visibilité à l’objet de l’analyse. Parce qu’il est bien plus qu’un simple élément de décor, l’espace de la fiction pose en effet la question de la représentation dans toute sa complexité, dès lors qu’il y inscrit, en abyme, cet imaginaire litigieux qui la fonde et qu’elle s’astreint, le plus souvent, à oublier. Une mise à plat de ces querelles platoniciennes permet de préciser la définition du Pays Imaginaire et de poser la mesure de l’écart entre le monde à l’origine du repère et celui de la fiction comme un instrument pour l’appréhender.

Une fois cette première étape franchie, il devient possible d’élaborer une typologie des espaces fictionnels fondée sur le rapport qu’ils entretiennent au réel et, partant, de définir la catégorie d’abord intuitivement perçue. L’analyse du protocole de lecture du Pays Imaginaire, tel qu’il est codé par le texte en amont et tel qu’il se traduit ensuite en aval par des postures de lectures relatives, révèle par ailleurs que si le genre joue un rôle fondamental dans sa perception, l’espace dans lequel le récit s’inscrit constitue lui-même un élément essentiel du genre en tant qu’il fonde l’univers fictionnel. L’indétermination caractéristique de la lecture de certains pays imaginaires résulte ainsi d’une malveillance du texte qui se manifeste à travers le brouillage du cadrage générique, relayé par la mise en échec des opérations d’interprétation tendant à y suppléer. La question se pose alors de savoir quel rapport entretient ce Pays Imaginaire porteur d’étrangeté avec le fantastique auquel il s’apparente sans s’y assimiler. L’analyse des mécanismes d’indétermination mis en oeuvre comme des notions, elles-mêmes problématiques, qui paraissent les plus propres à l’appréhender, telles que le grotesque ou le fantastique moderne, aboutit à la mise au jour de la fondamentale atopie du Pays Imaginaire : insituable sur nos cartes de géographie comme sur celles de notre littérature, à moins d’un ancrage générique précis, il est nécessairement étrange, voire incongru. Il apparaît alors que cette méconnaissance du Pays Imaginaire dont on peut s’étonner n’est nullement un accident de l’histoire de la théorie littéraire mais bien l’expression de la nature de celui-ci, autant que de la crainte qu’il peut inspirer dès lors que la limite qu’il outrepasse d’abord s’avère être celle de la possibilité.

Thèse de doctorat dirigée par Marc Dambre et soutenue publiquement à l'université de Paris III-Sorbonne Nouvelle, le 15 février 2006, devant les professeurs Yves Baudelle (Lille III), Rachel Bouvet (UQÀM), Marc Dambre (Paris III), Philippe Hamon (Paris III) et Pierre Jourde (Grenoble III). 523 pages.

Mots-clefs : pays imaginaire, atopie, mimèsis, lecture, genres, fantastique, théorie de la fiction, espace, étrange, grotesque, littérature d’imagination.

Illustration: Oxana Yambykh, Ville de Pierre, III, 1999. Huile sur toile. 59 x 39cm.