L’Utopie revisitée : l’œuvre-parergon de Pierre Senges

Le propos de cet article est de montrer que les Commentaires sur les chemins de ronde, qui semblent au premier abord corriger l’Utopie de Thomas More, réactivent en réalité les dimensions ludique et dialogique originellement présentes dans l’œuvre : ils revisitent l’Utopie plus qu’ils ne la contredisent. En commentant l’Utopie, Pierre Senges l’exhume en effet de la bibliothèque poussiéreuse pour la remettre en circulation. Et, ce faisant, il la ranime, réveillant le dynamisme et le mouvement présents au départ et occultés devant le fixisme des institutions et des lois de la République d’Utopie. Ce qui est en jeu dans cette reviviscence dont participe peu ou prou l’ensemble de l’œuvre-parergon de Pierre Senges, c’est non seulement une pratique de l’érudition comme source de fabulation mais aussi une utopie du savoir lui-même, celui, pour reprendre une formulation de l’auteur, d’« un encyclopédisme qui n’est plus assignation mais inquiétude et volonté ». Un encyclopédisme qui a en outre la particularité d’opposer la dérive et la dissémination à la thésaurisation mise en œuvre par les Humanistes de la Renaissance, pour proposer une image nouvelle de la mise en réseau qui n’est pas sans évoquer la mutation du livre que nous sommes en train de connaître, sous un jour pour le moins optimiste.