Éthique de l’idiotie. Une lecture de l’œuvre de Pierre Senges

24 March, 2007 - 11:00 - 11:30

«Éthique de l’idiotie. Une lecture de l’œuvre de Pierre Senges», communication dans le cadre de la session «Littérature et éthique dans le roman français contemporain» du CERACC coordonnée par Marie-Hélène Boblet-Viart au Congrès Annuel des Vingtièmistes aux USA «L’exception française», dirigé par Richard Golsan. Texas A&M University, 21-24 mars 2007.

Pierre Senges aime les histoires à dormir debout: ainsi a-t-il entre autres essayé de nous convaincre que l’Amérique n’existait pas, et que tous les malheureux qui depuis Icare ont chu en plein ciel sont tombés de bon gré. C’est que le goût des sornettes qu’il cultive s’accompagne d’une prédilection pour les ahuris – non seulement ceux qui chutent quand il faudrait voler, mais encore ceux qui ne savent plus très bien qui ils sont, ceux qui orchestrent leur propre découpage en morceaux, ceux qui cherchent à comprendre les feux rouges quand autour d’eux le désert s’étend à perte de vue, ou ceux qui fomentent une fin du monde botanique. Leur rendant hommage comme à des amis chers, Pierre Senges a même fini par en constituer un catalogue1.

On peut penser que les curieux objets littéraires qu’il a fabriqués lui vaudraient de figurer en bonne place dans cette galerie d’idiots ; il ne faudrait pas le croire inoffensif pour autant. À l’instar de son jardinier adventice semant l’Apocalypse avec un air bonhomme, l’auteur nous propose un divertissement rien moins que subversif sous couvert de renversement ludique – il n’est pas anodin que Candide lui fournisse le procédé de l’estrangement, et que sa Géométrie dans la poussière emprunte aux Lettres Persanes. Si par l’entreprise de dévastation systématique à laquelle il se livre, Senges ébranle nos certitudes et nos valeurs, mettant en question notre perception de l’Histoire ou la place du singulier dans la communauté, explorant le revers des apparences non pour les dénoncer mais pour en exploiter les virtualités, ce n’est pas à l’indifférence que son scepticisme jubilatoire conduit, mais à une véritable philosophie de l’ébahissement. Loin des dogmatismes et des idées reçues, loin des discours à sens unique, l’œuvre a le soin de ménager, dans le creux qu’elle dessine et qui participe, pensons-nous, d’un questionnement sur l’utopie, une place à son lecteur. Substituant la subjectivité à l’idéologie et l’ironie à la bonne conscience, elle participe ainsi d’une éthique de l’idiotie que nous nous proposons d’analyser.

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1. Bibliographie de Pierre Senges: aux éditions Verticales (Paris): Veuves au maquillage, 2000, Ruines de Rome et Essais fragiles d’aplomb, 2002; La Réfutation Majeure et Géométrie dans la poussière, 2004; Sort l’assassin, entre le spectre, 2006. Aux éditions Bayard (Paris): L’Idiot et les hommes de paroles, 2005.

> Lire le billet de Pierre Assouline sur le colloque

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